
Chez Blues Actu on connaît bien Manu Lanvin, un artiste que nous avons eu l’occasion d’interviewer à plusieurs reprises. A chaque fois, nait la même inquiétude et on se demande si on sera encore en capacité de se renouveler. Puis on s’installe avec lui, on commence à discuter et on se retrouve embarqué dans l’univers d’un musicien passionné (et passionnant) et habité par sa « mission ». Cette mission, il l’affiche haut et fort en couverture de son tout nouvel album enregistré entre Paris, Nashville, Montréal, Fort Lauderdale et Sheffield.
Entouré de sa team de musiciens et d’amis fidèles (Axel Bauer, Beverly Jo Scott, etc), Manu Lanvin y explore ses combats intérieurs, ses regrets et ses envies d’ailleurs, sans jamais perdre le feu du blues et l’énergie du rock et du blues. Avant son concert au Bataclan le 21 novembre, il se confie sur ce disque « Man on a Mission », sur ses collaborations, et sur sa volonté de toujours transmettre un peu de lumière à travers sa musique. Rencontre avec un missionnaire du blues.
📻 Ecoutez l’émission (Partie 1)
Episode #34 : Manu Lanvin – Part 1 (Man on a Mission) – Au micro de Blues Actu Radio
🎤 Manu Lanvin en interview
Manu, commençons par le titre de l’album, Man on a mission. Ça m’a évoqué un peu les Blues Brothers et la réplique culte « I’m on a mission from God ». Alors dis-nous, quelle est cette mission dont tu parles ?
Ma mission sur Terre maintenant, je la connais. C’est juste prendre ma guitare, la brancher dans un ampli et chaque soir essayer de donner un peu de bonheur aux autres. Faire en sorte que leur quotidien, souvent pénible, puisse être exorcisé tous ensemble.
« Man on a mission », c’est Craig Walker qui a trouvé cette formule pour moi. Craig Walker, avec qui j’ai composé un des titres de l’album et qui me connaît depuis très longtemps. À chaque fois qu’il me voyait, il me disait : « Manu, j’ai l’impression que tu es un homme comme ça, avec ton bâton de pèlerin, qui court dans tous les sens, qui voyage beaucoup. Je te vois comme un guerrier en révolte. »
Alors je ne sais pas s’il a raison, je ne sais pas quelle est la révolte qui m’anime, mais je trouvais que ça correspondait bien à cet album, l’album d’un voyageur.
Tu dis dans la présentation de ce disque que c’est aussi un voyage intérieur, et là aussi, on a envie que tu nous en dises un petit peu plus …
Je ne sais pas si c’est l’âge qui fait que maintenant je peux me livrer plus facilement et dire des choses que je n’aurais peut-être pas dites avant. 52 ans bientôt mon pote, tu sais Cédric… On est plus proche de la fin que du début, alors on se désarme. On arrive à parler plus facilement de ses souffrances, de ses combats intérieurs. On n’a plus peur de se livrer. Parce qu’en fait, on n’a plus peur du jugement des autres.

Tu as enregistré cet album dans cinq villes différentes : Paris, Nashville, Montréal, Fort Lauderdale et Sheffield. Alors pourquoi ce choix et qu’est-ce que chaque lieu a apporté à cet album ?
J’avais envie de voyager. Comme d’habitude, je suis parti avec mon petit studio portable. J’ai enregistré les bases rythmiques en Normandie chez mon bassiste Nicolas, puis beaucoup à la Chocolaterie. Mais je voulais aussi travailler avec plusieurs auteurs et chanter ailleurs.
Sheffield, c’est la ville de Joe Cocker. Nashville, une mine de courants musicaux. J’ai même enregistré dans la maison de David Briggs, pianiste d’Elvis Presley. C’était un hasard. Pour retrouver la vibration que je cherchais, il fallait être proche des lieux où cette musique est née.
« Quand je parle de moi, c’est aussi pour parler des autres »
Tes textes oscillent entre l’intime, je pense notamment à Savigny-sur-Orge ou Une nuit, et l’universel avec Make It Right ou Could It Be Love. Quel est pour toi le fil conducteur de ces différents morceaux ?
Quand je fais un album, je ne pense pas forcément à un fil conducteur. L’inspiration vient souvent de moments introspectifs, donc des histoires personnelles. Mais quand je parle de moi, c’est aussi pour parler des autres.
Certaines choses me font parfois réagir, comme l’actualité ou la violence des images. Nous, on est privilégiés dans notre pays, mais quand tu vois les catastrophes autour, les gens qui galèrent, ça inspire d’autres choses. Alors j’essaie de trouver des clés pour vivre ensemble plus joyeusement, même si je sais que c’est un combat un peu vain. La musique, c’est une autre possibilité qu’on offre aux gens, pour les faire réfléchir.
Dans Change My Ways, tu parles de fautes passées et de rédemption. Alors est-ce que c’est autobiographique ?
C’est toujours autobiographique, bien évidemment. On utilise nos expériences personnelles mais on les romance. Une chanson doit parler au plus grand nombre. Change My Ways exprime ce regret : « J’aurais dû faire différemment. J’ai merdé. Je n’ai pas été à la hauteur. » Savoir le dire à une femme, et dire qu’on va essayer de changer.
Je pense que beaucoup se sont retrouvés dans cette situation. Moi, j’ai pas mal merdé, on ne va pas se mentir. Mais c’était aussi pour m’adonner plus pleinement à la musique, qui est énergivore et chronophage. On devient un peu égoïste avec son art. Alors on passe à côté de belles histoires…
« Did u see Judy? » est une belle surprise avec des accents reggae. Je trouve que tu sors un peu de ta zone de confort avec ce titre…
C’est marrant parce que tu n’es pas la première personne à me le dire. Non, ce n’était absolument pas calculé. J’ai écouté bien évidemment beaucoup de grands noms du reggae. Je pense à Lee Scratch Perry, à Bob Marley bien évidemment. Mais tu sais, les Rolling Stones écoutaient beaucoup de reggae.
Peut-être que c’est dans la musicalité, dans le phrasé. Je pense qu’il y a des choses assez similaires avec le blues. Ce morceau est basé sur un seul accord ! C’est presque hypnotique, comme certaines ritournelles blues. Et avec ce phrasé un peu reggae, j’espère que ça ne me desservira pas. Mais ça s’est fait naturellement.
« Une nuit » est le seul titre en français sur l’album. Alors pourquoi avoir choisi d’écrire ce morceau précisément dans ta langue maternelle ?
Encore une fois, je n’ai pas choisi. Je suis guidé sans doute. Quand je prends ma guitare et qu’une idée me vient – un riff, une amorce de mélodie – c’est souvent du yaourt en anglais. Et d’ailleurs, Neal Black, avec qui je collabore beaucoup, garde souvent pas mal de mes refrains nés de ces yaourts.
Mais ce titre-là, va savoir pourquoi, les mots en français sont venus naturellement. J’ai travaillé avec Jean-Marc Fustier, un auteur avec qui je bosse beaucoup, et il a gardé 80 % de mes mots. Parce qu’ils sonnaient bien, parce qu’ils collaient aux accords. Ce n’était donc pas un choix, mais une évidence.
Et je trouve ça chouette que ce morceau soit pratiquement à la fin de l’album, comme un retour à Montmartre, là où je vis. Après tout ce voyage, cette invitation que je fais au public, je reviens finalement chez moi.
Je me suis rendu compte que j’avais un peu repris le phrasé de Paul Personne. Il a écouté l’album, il l’a adoré. Ça m’a beaucoup touché. Oui, je suis Français, et parfois c’est bien de se réessayer à sa langue.
Tu termines Une nuit par « Je suis un homme de scène. En dehors, je ne suis rien ». Là encore, on sent que c’est un titre très introspectif. J’ai presque envie de dire que c’est une mise à nu…
Oui, c’est vrai. C’est toute l’histoire de ma vie. Nous, musiciens, on est de passage. Avec la fréquence des concerts du Devil Blues, tu imagines… On arrive dans une ville, on y passe une nuit, puis on repart. C’est dur de construire quelque chose de solide avec une femme.
Donc j’ai voulu décrire ce moment : tu dois repartir, ton van t’attend, on t’appelle, mais en même temps tu étais bien dans les bras de cette femme. Ces instants rares de pause, je les ai adorés, lorsque rarement ils ont existé. Et j’ai voulu en faire une petite ode à ces instants que j’ai parfois connus.
« J’aime avoir les meilleurs à mes côtés »
L’album réunit un casting impressionnant dont certains étaient à tes côtés sur l’album hommage à Calvin Russell. Je pense notamment à Beverly Jo Scott. On sent que c’est important pour toi d’avoir toujours ta team à tes côtés. C’est exact ?
Moi, j’aime avoir les meilleurs à mes côtés. Et je n’ai pas de problème d’ego comme souvent quelques artistes. Tous les musiciens de cet album, beaucoup sont bien plus forts que moi ! Mais je pense avoir réuni parmi les meilleurs batteurs de France : Raphael Chassin, Julien Audigier, Jimmy Montout, Mickael Désir… À la basse, Laurent Vernerey et mon fidèle Nicolas Bélanger. J’ai aussi les Haggis Horns, qui ont travaillé avec Mark Ronson ou Amy Winehouse ! Il faut s’entourer de forces et ne pas avoir de complexes à le faire. Je suis fier d’avoir des gens très bons avec moi.
Et puis il y a Beverly Jo Scott… Pour moi, c’est une des plus belles voix du classic rock aujourd’hui, pas assez connue sur la scène internationale. Qu’elle vienne faire des chœurs pour moi, c’est une immense fierté. J’aime m’entourer de talents, pas de gens qui craignent l’ombre, ça me rend plus fort. J’aime le talent des autres. Sur l’album Tribute to Calvin Russell, j’aurais pu tout chanter seul, mais quel intérêt ? Je préfère partager avec des interprètes bien meilleurs que moi. Ce sont devenus des gens qui font partie de ma famille et quand on fait un album on se tourne plus facilement vers les gens qui vous aime.
📻 Ecoutez l’émission (Partie 2)
Episode #35 : Manu Lanvin – Part 2 (Man on a Mission) – Au micro de Blues Actu Radio
« Just Need Me » est co-écrit et joué avec Axel Bauer. Alors raconte-nous comment s’est fait ce titre ?
Voilà encore un mec que j’admirais gamin. Quel guitariste n’a pas essayé de reproduire ses riffs ? On s’est retrouvés plusieurs fois, et un jour, chez lui, il me fait écouter des idées. Il a toujours mille projets.
Et puis d’un coup, il me sort un riff. Pas encore Just Need Me, mais une ébauche. Et là, je flashe ! Je lui dis : « Ça, je le veux ! » Ce riff avait ce côté simple et complexe à la fois, avec une terminaison qui sort des schémas traditionnels du blues.
On en a fait Just Need Me. Pour moi, c’est une grande fierté d’avoir Axel avec moi. Quand des gens que je considère plus balèzes que moi partagent quelque chose, c’est valorisant.
Sur Make It Right, on retrouve l’ami Ahmed Mouici et on sent que ce titre est une parenthèse rock’n’roll rafraîchissante sur laquelle vous vous êtes bien amusés tous les deux.
C’était une évidence ! Ahmed a ce goût du rock des années 50-60. Il a le groove, la voix, la culture. Quand j’ai fait ce titre, je savais qu’il devait être là. Je voulais des chœurs à la Beach Boys, et lui pouvait le faire. En plus, Ahmed, c’est plus qu’un ami, c’est un grand frère.

Il faut qu’on parle d’un homme qui est aussi très souvent cité mais qui ne joue pas sur l’album. C’est Neal Black avec qui tu as écrit une grande partie des morceaux du disque. Est-ce que tu peux nous parler de cette collaboration ?
Bien sûr. Avec Neal Black, on forme un vrai binôme. Ça fait plusieurs albums qu’on écrit ensemble. Moi, j’arrive avec mes yaourts qui n’en sont pas vraiment, parce qu’il y a déjà des refrains, des phrases complètes. Il a l’intelligence de garder l’essentiel et d’améliorer.
Avec lui, c’est instinctif et rapide. On se connaît bien, on a les mêmes codes. C’est un songwriter incroyable, et travailler avec lui est toujours un bonheur.
Parlons de ton son de guitare … Je l’ai trouvé très brut et très en avant. On est assez proche d’une production à la Dan Auerbach des Black Keys. Est-ce que c’est une influence pour toi, ce groupe ?
Tu me fais plaisir, Cédric. Non, on n’a pas cherché à copier. Mais pour moi, Dan Auerbach est une énorme référence, tout comme Jack White. On les regarde avec admiration, évidemment.
Cela dit, ce son brut, c’est beaucoup le travail de Nico Bonnière, mon associé artistique. Il est un peu l’homme de l’ombre, mais il est à l’origine du son du Devil Blues. Depuis toujours, on cherche à produire un son de guitare différent, avec une identité propre. Pas à faire comme tout le monde.
Et Nico, ex-guitariste de Dolly, aujourd’hui avec Eiffel, est très fort pour ça. Il est respecté dans le milieu, et c’est devenu un frère. Avec lui, on expérimente sans cesse, on se casse la tête à trouver des formulations atypiques. Je pense que c’est ce qui rapproche un peu de Dan Auerbach : la culture du son.
D’ailleurs, c’est amusant, on parle des Black Keys, mais il y a un titre qui s’appelle Man on a mission sur leur tout dernier album !
C’est totalement une coïncidence ! Quand on me l’a dit, j’ai failli tomber dans les pommes. Mais après, j’ai vu que c’était juste un single, et qu’il y avait déjà pas mal de titres portant ce nom. Peut-être que c’est un sentiment partagé par beaucoup d’artistes. Se sentir « en mission ». Faire de la musique, c’est un chemin de croix, surtout en France avec le style que je propose. On n’est pas aidés par les grands médias, alors on prend le maquis et on va au combat.
Peut-être que c’est ça que d’autres artistes ont ressenti aussi. Est-ce que Nina Simone, par exemple, n’était pas en mission, elle aussi ?
Tu joueras au Bataclan pour lancer cet album le 21 novembre. Alors comment est-ce que tu envisages la transposition scénique de Man on a mission ? Et est-ce que certains invités de l’album monteront sur scène avec toi ?
Les invités, je ne sais pas encore. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne sera pas qu’un trio. J’ai envie de plus de musiciens avec moi sur scène. J’aurai Bennett Holland, par exemple, qui a fait tous les claviers de l’album.
C’est important pour moi : défendre ce nouvel album avec un vrai son de groupe élargi. On a beaucoup tourné avec l’ancien répertoire, mais là, j’ai envie de proposer autre chose au public. La mission, c’est aussi un nouveau challenge, et j’ai besoin de ça.
Le Bataclan c’est forcément une scène qui évoque un épisode très douloureux. Est-ce que c’était vraiment une volonté pour toi d’aller jouer dans cette salle ?
Oui, bien sûr. On a déjà fait une Cigale sold-out, il fallait se challenger avec une salle plus grande. Et puis le Bataclan, c’est ma salle de cœur. J’y ai joué, j’y ai vu des concerts de FFF, de Bernie Bonvoisin, de Paul Personne…
Ce qui s’est passé est atroce. Mais le fait que la salle vive encore, c’est un pied de nez à la bêtise humaine. Bien sûr que j’aurai une pensée pour toutes les victimes. Mais je suis convaincu qu’ils voudraient qu’on continue à brancher nos guitares et à emmerder ceux que la musique dérange.
Pour terminer : quel dernier message tu aimerais transmettre à tous les auditeurs de Blues Actu Radio ?
Qui dit auditeurs de Blues Actu Radio dit fans de musique authentique : blues, rock, soul… On est tellement dans ce mot, avec tellement de courants musicaux. Merci pour vos encouragements, pour votre soutien. Merci à toi aussi, Cédric, et à tous les médias qui relaient cette musique. Sans vous, ça serait compliqué de continuer la mission.
Merci Manu, à très bientôt et on souhaite le meilleur pour ce nouvel album Man on a mission.
À très bientôt mon pote, à bientôt Cédric.

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